PÉDAGOGIE - CONSIDÉRATIONS - ÉVÉNEMENTS ANTÉRIEURS - INFORMATIONS |
L’exposé de type
universitaire
désamorce la violence des œuvres et des hommes. Comme ses
homologues
journalistiques et autres, il est forme adoptée par la
créativité
fastidieuse du discours sans réplique
généralisée.
Les cadres qu’il institue n’ont pas pour fonction d’élucider
mais
de neutraliser en expliquant selon une clôture
prédéfinie.
À chaque fois qu’il parvient par sa parole à l’annexion
d’un
territoire nouveau, il peut crier victoire. Ses victoires sont faciles.
Il proscrit tout ce qui le déborde de sa simple présence.
La critique d’art lumpen-prolétarienne, de par sa condition, ne
peut s’attarder à des considérations de cette
espèce
qu’en certaines circonstances que le développement social
récent
a rendues possible et qui constituent un phénomène
historique
d’une grande nouveauté. Le plus souvent, elle ne peut être
qu’allusivement dissuasive à l’égard de la
communauté
plus ample qu’implique l’existence même de ses ouvrages, en
estimant
la réprimande peu probable. Quelle que soit la perspective
choisie,
escompter énormément de cet écrit serait abusif,
tant
ses déterminations restreignent son dessein.
De l'histoire du lettrisme,
les années cinquante constituent l’époque insigne. Au
début
de cette période, un seul groupe manifestait une opposition
universelle
et un complet mépris au nom du dépassement historiquement
obligé des anciennes valeurs. Ces Bousingots affirmaient en
toute
occasion qu'ils étaient très beaux et avaient cette
grande
force, de n’attendre plus rien d’une foule d’activités connues,
d’individus et d’institutions. La tactique de la Bataille d’Hernani,
continuellement
réengagée, visait à déchaîner une
inflation
létale dans les arts. Cette hétairie signifiait la mort
d’un
monde et de ses joies plates. Dans le sillage du scandale de Notre-Dame
(1950) les lettristes entreprirent de perturber une messe tout aussi
chloroformante.
Parmi les plus maigres ambitions de leurs vandalités
cinématographiques,
bien plus "anti-illusionnistes" que le "structurel-matérialisme"
de leurs épigones, était celle de faire du cinéma
autre chose qu’un lieu où l’on ronfle assis.
Le critique d’art dont
l'analyse
procède de la nouveauté esthétique aurait, selon
sa
corporation, rempli ou non ses fonctions mais manqué l’occasion
de dire quelque chose. Les lettristes ne furent pas les premiers
à
faire usage de maints procédés les caractérisant.
Nous énumérerons quelques-uns de leurs devanciers plus ou
moins cinématographiques sans grand souci d’exactitude, au
risque
même de léser les lettristes les plus sourcilleux, tant la
question ne nous intéresse qu’anecdotiquement et
nécessiterait
une étude qui n'a pas lieu d'être ici; l’intervention
directe
sur la pellicule fut, par exemple, pratiquée avant eux par des
protofascistes
italiens; la ciselure de l’image par un amuseur canadien et un
publicitaire
belge; le film sans image par un protonazi; le film de montage par une
probolchevik; la mise en abyme par un divertisseur italien; la “
distanciation
” par un cryptostalinien allemand; la combinaison des arts par Wagner;
etc.
C'est la visée de
totalité - comprise non pas en tant que système
transparent
mais procès indéfini, ni comme projet
nécessairement
conscient, formulé, épuisant l’intégralité
des significations du lettrisme ou l’exonérant d’aberrations
effectivement
nombreuses mais qui n’en font pas pour autant un chien crevé -
qui
différencie l’esthétique lettriste de ses
prédécesseurs,
hormis les avant-gardes non pas de l’art pour l’art mais de l’art
contre
l’art - la totalité n'est attribut des réactionnaires
qu'en
tant que forclusion ou refoulement clos - ainsi que de ses successeurs,
la plupart possiblement inconscients d’être des suiveurs et
délayeurs
du lettrisme, se complaisant dans le morcellement conformiste,
solipsiste,
carriériste ou crypto-académique. Chaque saillie
lettriste
n’a d’intérêt que par cette systématisation absolue
qui la présente comme la seule forme d’art du moment, condamnant
ainsi à mort toutes les autres et elle-même à
brève
échéance.
Notre critique du lettrisme
emploiera la même catégorie pour moult motifs dont
l'explicitation
n’est pas appropriée ici. Disons succinctement que s’accommoder
des présupposés internes à l’art, a fortiori de
ceux
encore plus étriqués de la scolastique
cinématographique,
et de formulations en ces termes séparés, est
dérisoire.
La visée lettriste
de totalité n’a pas pour dessein un ordre artistique
supérieur
nécessitant une introspection formelle stérile ou la
synthèse
illusoire des différentes disciplines esthétiques mais la
béance de la sphère artistique médiatisée
par
deux logiques apparemment antinomiques. D’une part, la volonté
qu’un
art déborde sur un autre pour tendre par débordements
successifs
à un antigesamtkunstwerk, finit par rendre les champs qu’il
agrège
caducs, trop mesquins pour contenir le déferlement à
venir
; effusion jamais achevée dont le déploiement ne saurait
être contenu et qui aboutit au débordement
généralisé
sur tous les domaines de la culture ainsi que sur tous les moments de
l’activité.
D’autre part, la volonté de déprédation,
morcellement
extrême, intériorisation, de chaque champ de l’art.
Si des moments de ces deux
trajectoires sont décelables antérieurement, comme nous
l’avons
noté plus avant, les lettristes leur apportent une
cohérence
et une portée inédites jusqu’alors. La réalisation
et la suppression de l’art, moments indissociables et prodromiques
à
un même dépassement de l’art, mènent par leur
double
mouvement centrifuge-centripète à la ruine de tout centre
; mort de l’art qui est corrélativement celle du cinéma.
La néantisation et la totalisation sont amenées à
l’extrême limite hors de laquelle elles ne peuvent plus
être
résorbées dans le dispositif imaginaire du monde
établi,
quitte à en sortir avec les flics ou sur un brancard. Cette
dynamique
duelle exposive-implosive aboutit à l’abolition de la finitude
de
l’accomplissement esthétique, achevée dans
l’esthapéïrisme
(1956) et, plus important, au sein de ce premier aboutissement, de la
séparation
entre spectateurs et créateurs, atteint dans l’hyperchronisme
(1960);
chèque en blanc auquel même dieu ne peut échapper.
La nullité tangible
des interventions de l’auditoire au sein du cadre hyperchronique ou sup
- dernière percée esthétique d’une quelque
conséquence
dans ce siècle: le reste n’est qu’irrémédiablement
destiné aux poubelles de l’histoire - renvoie les spectateurs
à
la médiocrité concrète de leur vie.
Dénué
de la routine complaisante du vaudeville ou du cirque, ou encore des
farces-attrapes
des petits négoces de plagiaires inavoués ou
refoulés
du monde de l’art, ce cadre exacerbe le pitoyable de l’assistance en
exigeant
tacitement, à travers son appel explicite à la
participation,
le dépassement hic et nunc de l’art devant lequel les
misérables
spectateurs se révèlent indubitablement impotents.
Certains lettristes
scissionnèrent
promptement, à un stade encore embryonnaire de ces offensives,
convaincus
qu’il ne pouvait plus y avoir de renouvellement culturel dans le
détail,
mais seulement en bloc, de l’autre côté de la culture. La
lutte des classes devenait la forme d’art la plus moderne, la seule
capable
de relier la massive et déliquescente quotidienneté au
ludique
cloîtré et assujetti. Concluant à la
caducité
de toute pratique artistique, ils utilisèrent progressivement le
cinéma uniquement à des fins de propagande
révolutionnaire,
mais ce parti pris se manifesta partiellement par une dissolution de la
vigueur de certaines formes de rage cinématographique lettriste
conservées dans un repli esthétique réactionnaire.
Passé l’hyperchronisme, les autres lettristes restèrent
statiques
et s’anémièrent.
Biographie du comité des critiques d’art lumpen-prolétariens
Le comité des
critiques
d’art lumpen-prolétariens est le produit de multiples scissions
au sein de divers groupuscules extrémistes ; notamment du
schisme
dans la lamentable et maintenant autodissoute “ section
française
du front international des jeunesses supercapitalistes ” entre la
coalition
molle des cryptoartistes honteux — exclus et abandonnés à
leur misérable incohérence pratique comme
théorique
— et la tendance antifragmentaire radicale ; ainsi que de la division
à
l’intérieur de l’éphémère et inepte “
internationale
juventiste révolutionnaire ” entre la faction des
littérateurs
ratés prosituationnistes — qui, aujourd’hui, incapables de faire
mieux que de l’édition culturelle à la mode lettriste,
montrent
combien ils ont plus que justifié leur expulsion — et le bloc
orthodoxe
jusqu’au-boutiste.
Devant la nullité
de l’époque, le comité des critiques d’art
lumpen-prolétariens
s’est donné pour tâche parcellaire la critique impitoyable
de toute pratique artistique contemporaine afin de démoraliser
la
profession en la renvoyant à sa mauvaise conscience et de
détourner
la jeunesse de telles inepties au profit d’activités bien plus
jouissives.